« Peuple attablé »
Alors que la première partie de la messe se déploie autour d’un Livre et de sa lecture, la seconde partie déplace le centre de gravité de la célébration en direction d’une Table et de sa préparation. La liturgie de la Parole a fait retentir l’appel à venir au banquet préparé et désiré par le Père pour célébrer l’Alliance de son peuple avec lui. Le mouvement qui dirige l’attention de la communauté vers la Table dressée en préparation de l’Eucharistie constitue la réponse à cette invitation. Comme les voyageurs énigmatiques accueillis à la table d’Abraham (Genèse 18, 1), ou bien comme les anciens accompagnant Moïse au mont Sinaï pour « manger avec lui en présence de Dieu » (Exode 18, 9), nous sommes conviés à prendre place autour de l’autel – à nous attabler.
Ce moment constitue une triple charnière dans la liturgie : rituelle, symbolique, existentielle. Rituellement, il marque le passage sans rupture de la manducation de la Parole de Dieu (lectures) à la manducation du Pain de Vie (eucharistie) : une nourriture assure l’unité des deux moments. Symboliquement, il marque le passage du mémorial de la sortie d’Égypte, célébrée lors d’un repas par la communauté d’Israël, au mémorial de la sortie de la mort célébrée lors du même repas par Jésus et ses disciples et que les premiers chrétiens ont identifié comme étant le signe du sacrifice d’amour de Jésus, de sa mort et de sa résurrection : le mystère pascal. Ici, c’est l’attablement qui unifie les deux repas : chaque convive doit se considérer comme sortant du règne de la mort (Égypte) sous la conduite de Moïse et de Jésus.
Existentiellement, ce moment retient la signification que recouvre dans notre vie tout ce que nous rattachons à la tablée : repas de famille, repas fraternel ou entre amis. L’amour qui préside à la réunion autour d’une même table doit traverser ce moment charnière de la liturgie. Au-delà, il doit habiter toute la célébration, de telle sorte que le rite conserve son lien avec notre existence. Et qu’ainsi, à son tour, notre vie devienne liturgie.
Grégory Solari
